Le retour d'Ariane, Pierre Tourangeau

Le soir nous est tombé dessus comme un coup de massue, pire, comme un coup de machette, et le fracas a réveillé les cadavres que le jour avait figés. La peur s'est emparée de tout ce qui osait encore vivre. Mais elle n'avait pas de prise sur moi. J'étais ailleurs, du côté de chez Ari, sous les acacias et les arbres à pain assaillis par les bougainvillées de son jardin de Samui, et je l'observais, moulée dans son sarong, alors qu'elle préparait le repas du soir. Elle allait et venait au rez-de-chaussée de sa villa, ombre fluide, aérienne dans l'immense cuisine sans mur, portant dans un geste plein de grâce les épices à son nez pour s'assurer du bon choix, les cheveux aux quatre vents du jour qui meurt, ceux qui débarquaient du large toujours à la même heure pendant la mousson, comme s'ils faisaient partie des convives. Elle flottait avec les effluves du cari, portée par la coriandre et le girofle, la muscade et la cardamome, sans cesse rajoutant la touche d'essence qui vous rendrait fou.